J Comme Job
Qui n’a pas entendu parler de la patience de Job ? Aux prises avec une impressionnante série d’épreuves, il nous apprend à reconnaître les vraies valeurs, celles qui durent.
Sida, cancers, maladies cardio-vasculaires, rhumatismes… Le cortège des maux qui affligent l’homme moderne est multiple, et il faudrait une véritable encyclopédie pour les citer tous.
Cependant, si la maladie est notre lot quotidien, elle est encore pour le chrétien un sujet tabou à refouler et à ignorer si possible.
La maladie touche le croyant dans son amour-propre, le met mal à l’aise avec son corps, le remplit de doutes et de jugements. Mais, bien souvent, ses questions restent sans réponse, et il ne sait pas comment se situer par rapport à la maladie et à la souffrance.
Tout appelle le croyant à aimer le bien et le beau. Pour lui, l’homme modèle est l’être parfait créé à l’image de Dieu. Dès lors, comment pourrait-il s’identifier à cette image si négative que présente l’homme mal portant ? La maladie sera considérée par lui comme une absence de Dieu ou un manque de foi chez son semblable.
Mais l’homme souffrant ne nous interroge-t-il pas sur la finalité de la création, sur le mal, sur nous-mêmes et notre propre devenir ?
Il y a peu de temps, lorsque je visitais une amie à l’hôpital, un fait curieux m’est apparu. La malade se trouvait isolée du groupe de visiteurs, qui pourtant étaient venus « la voir ». Les amis parlaient entre eux avec en train de sujets pour le moins ordinaires : le temps, la hausse des prix, le prochain départ en vacances, le petit rhume de bébé… Tout ceci concernait bien peu la malade. Qu’importe, après tout, ne fait-elle pas partie du décor de ce milieu aseptisé ? Après une telle visite, la malade ne se sentira guère réconfortée, mais bien fatiguée !
De tels cas sont légion. Situation burlesque ! Parfois, le cercle d’amis tourne le dos au visité. Il ne reste plus au malade qu’à assister passivement à cet « entretien ». À la limite, il se sent exclu de ces conciliabules. Peu seront à l’écoute du vécu réel de l’hospitalisé, peu se pencheront vers lui et centreront le dialogue sur « sa souffrance », son besoin de communication.
D’ailleurs, ne dit-on pas de lui que c’est un patient ? Il doit certes « prendre son mal en patience », mais il lui faudra aussi une patience aimante vis-à-vis d’un entourage qui le plus souvent ne le comprend pas.
Il est frappant de constater combien la personne malade se trouve exclue de la société des « bien-portants ». Elle qui dans les moments difficiles de sa vie aurait besoin d’encouragement et de soutien, se trouve incomprise.
Car, regarder un malade en face, n’est-ce pas faire appel à nos vieilles superstitions, et attirer sur nous la malédiction ? Notre instinct immonde crie vite : « Mieux vaut lui que moi ! » Et notre indifférence n’est-elle pas simplement malaise ? Car pour celui qui croit, comment concilier l’existence de Dieu et la souffrance ? Et comment ne pas juger celui qui souffre ? Nos réflexions vont bon train : il n’avait pas une vie saine, pas assez de foi ne se soignait pas bien, Dieu le punit…
Et lorsque nous prodiguons de « bons conseils », ne tombons-nous pas dans les travers des amis de Job ? Tout comme eux, le chrétien associe trop aisément maladie et péché. Éloigne de toi l’iniquité et ne laisse pas habiter l’injustice sous ta tente. (Job 11 : 14)
Devant les éternels « pourquoi la maladie ? » le chrétien tentera d’expliquer les mécanismes du mal, cherchera les causes, tirera des conclusions. Mais sans savoir ce qui se passe vraiment et quels sont les enjeux, il en viendra vite à poser sur le malade un tas de jugements qui le blesseront profondément et le laisseront seul, dans l’incompréhension.
Toutefois, le livre de Job nous ouvre une nouvelle perspective. Du début à la fin, il montre que c’est une erreur d’associer maladie et péché. La maladie n’est pas une punition de Dieu.
Job était un homme intègre et droit, craignant Dieu et se détournant du mal. Mais il va être l’enjeu d’un combat entre son Créateur et Satan. N’en est-il pas de même pour chacun d’entre nous ? Tout se joue dans les coulisses du monde sans que nous en soyons conscients.
C’est ici que notre confiance en Dieu prend son sens réel. Car Job, hier, c’était l’ami dont les problèmes me concernaient finalement bien peu. Mais demain, ce sera peut-être moi ! Et il serait intéressant de me demander si je pourrais vivre un christianisme épanouissant dans la maladie.
Isolé des amis et de la famille, c’est le grand plongeon dans la solitude, mais peut-être l’occasion unique de se retrouver face à soi-même, pour une réflexion en profondeur. Car si la santé nous permet d’être tournés vers l’extérieur, favorise en nous l’activisme, et par conséquent endort notre foi, la maladie nous ramène à nos limites, nous humilie, nous reconduit à l’essentiel des choses.
Quand ma peau sera détruite, il se lèvera ; quand je n’aurai plus de chair, je verrai Dieu. Je le verrai, et il me sera favorable : mes yeux le verront, et non ceux d’un autre : mon âme languit d’attente au-dedans de moi. (Job 19 : 26, 27)
Fortifier sa foi dans la maladie, à l’exemple de Job, n’est pas une pure théorie. J’en veux pour preuve le témoignage d’une amie atteinte d’un cancer et très lucide sur son état. Dans ses derniers moments, nos visites s’accompagnaient toujours de la même angoisse : que lui dire, comment lui parler de l’amour de Dieu ? Toutefois, nos craintes étaient vite oubliées. Comment va celui-ci ? Ces deux jeunes semblent bien s’aimer… Sans révolte, en paix avec elle-même et avec son Sauveur, c’est elle qui avait pour chacun des mots aimants et réconfortants. Sa préoccupation ne se portait pas vers son corps meurtri, mais bien vers tous ses proches, et les événements de leur vie…
Oui, l’épreuve prise sous un angle positif peut être non seulement pour nous une source d’enrichissement, mais aussi pour tous ceux qui nous entourent un message d’amour. Elle sera pour notre communauté le témoignage d’une foi solide et favorisera dans le futur une meilleure intégration de nos souffrants au sein de la société.
Je t’interrogerai, et tu m’instruiras. Mon oreille avait entendu parler de toi ; mais maintenant, mon œil t’a vu. (Job 42 : 4, 5)
Colette Rase
Revue Signes des Temps – Octobre 1988