Réveil et Reforme

Blog « Réveil et Réforme » de l'Église Adventiste du Septième Jour de l'île de La Réunion

L’infirmier qui n’avait pas froid aux yeux

13 mars 2012

Pedro Kalbermatter regarde par la fenêtre de l’école de mission à Azangaro, située sur le haut plateau péruvien entre les Andes.* Il sait que ce sabbat est le jour marqué par ses ennemis pour le tuer lui d’abord, puis les Indiens, et enfin pour démolir les murs de la mission. Il aperçoit la poussière soulevée par la foule qui approche. Celle-ci est conduite par des propriétaires terriens qui n’acceptent pas que ce « protestant hérétique », comme ils appellent Pedro, instruise les Indiens et leur enseigne à abandonner l’alcool. L’argent de ces propriétaires dépend du travail des esclaves indiens. Ils savent fort bien que ces derniers sont plus faciles à diriger lorsqu’ils sont ivres et découragés.

Lorsque Pedro a commencé à construire la mission, plus de 700 Indiens l’ont aidé bénévolement. Par la suite, il a réuni 1 200 aides fidèles. Mais en ce jour terrible, plus de la moitié d’entre eux ont déjà fui par crainte. Pedro se sent si seul !

Il décide que lui et les Indiens qui restent vont se battre et mourir pour la mission, si nécessaire. Il dispose d’armes à feu et de munitions dans un trou sous son lit. Il pense que le temps est venu de les utiliser. Mais il se sent troublé. Avant de prendre ses revolvers et fusils, il s’agenouille et prie Dieu de le guider. Tandis qu’il prie, une grande paix remplit son âme. Il entend la voix de Dieu lui dire : « La vengeance est mienne ; je te défendrai. »

Pedro laisse ses armes à feu et retourne à la fenêtre. Il décide de sortir pour faire face à la foule. Il en informe son assistant.

« Mais maître, dit l’Indien, tu vas te faire tuer ! »

« Je sors », répond Pedro.

« Alors, prends au moins une arme ! »

« Je prends ma meilleure arme. Donne-moi ma Bible. »

Puis il franchit la porte d’entrée d’un pas déterminé.

Mais comment un campagnard des plaines de l’Argentine a-t-il fini par se retrouver à combattre pour Dieu sur « le toit du monde » ?

Un garçon de campagne cède son cœur 

Pedro Kalbermatter est né dans une famille d’immigrants suisses qui ont déménagé en Argentine dans les dernières décennies du 19 siècle. Ils vivent dans une ferme dans les prairies. Dès son enfance, Pedro apprend à prendre soin des brebis de son père et à les protéger des renards et des serpents menaçants.

Chaque soir, Maman Kalbermatter fait la lecture aux siens, leur rappelant les tourments sans fin de l’enfer qui attendent ceux qui se comportent mal. Mais ces lectures n’empêchent pas ses fils de se battre fréquemment.

Un jour, cependant, un colporteur frappe à la porte de cette famille et lui vend des livres religieux. Les membres de la famille commencent à les lire. Bientôt, ils découvrent la vérité sur le sabbat, le retour de Jésus, et les principes sanitaires de Dieu. Convaincus, ils décident de se faire baptiser. Comme ils ne disposent pas de piscine, un pasteur en visite accepte de les baptiser dans le puits qu’ils utilisent pour abreuver leur bétail. Maintenant, les voisins constatent que les garçons Kalbermatter ne se battent plus, et qu’en outre, ils ont cessé de fumer et de boire !

Pedro sent que Dieu l’appelle à devenir missionnaire. Il décide donc de fréquenter une école adventiste dans la province d’Entre Rios. Mais trois mois plus tard, il est forcé de s’enrôler dans l’armée.

De soldat à infirmier

Dans l’armée, Pedro refuse de travailler le sabbat. Après avoir été fouetté et battu, il se retrouve finalement derrière les barreaux. Auparavant, Pedro était toujours prêt à se battre ; mais maintenant, il prie pour rester maître de lui. Après un an de misère et d’emprisonnement, il est finalement relâché.

Pedro retourne à l’école adventiste et devient infirmier. Puisqu’il est célibataire, il n’a aucune chance d’être envoyé dans le champ missionnaire. Il travaille donc à Rosario, la ville voisine, pendant sept ans. C’est là qu’il fera la connaissance d’une infirmière adventiste appelée Guillermina (« Mina »), laquelle deviendra la compagne de sa vie.

Pedro et Mina se marient et ont deux fils. Quand on les invite à travailler dans les montagnes péruviennes, ils acceptent avec bonheur. Après des jours de voyage en train, en camion, et en bateau, ils arrivent enfin à leur nouveau lieu de travail en hiver 1919.

Ce qu’ils y découvrent les consterne : les Indiens sont maltraités, ils souffrent de misère et de négligence. Cependant, toute tentative pour améliorer leur condition se heurte à une farouche opposition. La première école de mission dans la ville de Saman est détruite. Alors Pedro se rend à Azangaro. Et c’est là
que nous le retrouvons devant la foule en colère, ayant pour toute arme les Écritures.

Ses ennemis ne peuvent en croire leurs yeux. Le protestant hérétique marche vers eux, sans arme. Il sourit. Ils menacent de le tuer et commencent à tirer en l’air. Mais Pedro reste. Il leur déclare même que l’école est là pour rester. Finalement, ils se retirent, victimes d’une peur étrange.
Ce soir-là, Pedro tient un service d’action de grâce car il est en vie. À partir de ce jour, la mission prospère.

Le puissant guerrier de Dieu

Les méthodes de Pedro pour confronter l’opposition ne sont pas toujours comprises de ses collègues. Certains d’entre eux croient que frère Kalbermatter est parfois trop prêt à se battre. Finalement, des dirigeants adventistes le convoquent. « Tu n’as baptisé que 200 personnes en trois ans ! Cesse de te battre et passe plus de temps à répandre l’Évangile. »

Pedro accepte humblement le reproche des dirigeants. Plus tard, deux pasteurs viennent pour lui rendre visite et pour baptiser des candidats. À leur grande surprise, Pedro leur présente 600 candidats pour le baptême !

L’année suivante, Pedro invite les dirigeants de l’Église à un congrès indien. Outre les délégués locaux, des dirigeants adventistes de l’union, de la division et même de la Conférence générale assistent au congrès. Certains des délégués, cependant, n’arrivent pas à temps. Ils se font attaquer tandis qu’ils descendent
les montagnes. Ils sont battus, lapidés, et piétinés par des chevaux. Ils arrivent à la mission tout ensanglantés, souffrant de fractures et de graves contusions. Pedro commence à les traiter. Les dirigeants adventistes ont vraiment peur, maintenant ! Lorsqu’ils tentent de partir après le congrès, une foule menaçante se rassemble et tente de les lapider. Mais Pedro fait face à la foule, éperonne son cheval, et aide les dirigeants à rentrer chez eux en toute sûreté. Après cet incident, plus personne n’ose critiquer Pedro ! Tous ont compris qu’il est l’homme pour son temps, le guerrier choisi de Dieu pour répandre l’Évangile dans les circonstances les plus difficiles.

Au fil des années, Pedro devient l’un des infirmiers les plus aimés de la région. Même les propriétaires terriens ont appris à le respecter. Plus d’une fois, Pedro a soigné ces mêmes personnes qui, des années auparavant, avaient juré de le tuer.

Après 20 ans de travail dans les montagnes, Pedro et Mina retournent dans les terres cultivées des plaines de l’Argentine, non loin de l’école adventiste qui les a préparés pour le service missionnaire. Jusqu’à sa mort en 1968, Pedro ne cessera jamais de parler de l’étonnante protection de Dieu, spécialement de ce jour où il a fait face à une foule en furie avec le livre le plus puissant jamais écrit.

* Cet article se base sur le propre récit de Pedro Kalbermatter dans Veinte años como misionero entre los indios del Perú, Paraná, Nueva Impresora, 1950 ; et sur l’ouvrage de Barbara Westphal intitulé A Man Called Pedro, Mountain View, Pacific Press, 1975.

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