Un murmure doux et léger
« Et après le feu, un murmure doux et léger. » 1 Rois 19.12
Une des plus tragiques marques de la souffrance est cette capacité, qui lui est propre, d’effacer la conscience qu’en dehors et qu’au-delà d’elle, la vie continue.
La souffrance peut annihiler notre passé et notre présent. Elle peut distordre notre histoire, notre identité et notre personnalité, mais le plus effroyable… c’est sa capacité d’anéantir le futur. Lorsque demain n’habite plus nos rêves, une agonie morale et spirituelle nous subjugue, et nous immobilise dans un emprisonnement perpétuel, celui du moment actuel douloureux.
S’il n’existe pas une vie qui dépasse notre misère présente, alors sa logique faussée s’impose à notre esprit torturé, et elle devient notre vérité.
Le docteur Siddhartha Mukherjee, réfléchissant à cette attitude, l’identifie à celle des patients cancéreux qui se laissent tellement engloutir par la réalité immédiate de leur maladie que le monde autour d’eux s’estompe. Combattre et vaincre au quotidien le monstre devient une obsession. Et que le patient soit à l’hôpital ou en dehors de l’hôpital, en traitement ou en rémission, dans son esprit, il est toujours à l’hôpital, jamais en rémission.
Citant un poète, cet oncologue affirme que le cancer est une occasion incroyable de se retrouver le nez collé à la vitre de notre mortalité. Le problème est que les patients cancéreux, devant cette vitre, ne voient pas un monde à l’extérieur de leur cancer, mais ils voient un monde assiégé par cette maladie se reflétant à l’infini dans tout ce qu’ils regardent…
L’évidence de notre mortalité est incontournable : on la sent dans un vent fort et violent qui nous déchire et nous brise; on la voit dans un tremblement de terre qui nous ébranle et nous déracine; on la touche dans un feu qui nous embrase et nous écorche à vif. Mais en dépit du vent, du tremblement de terre, et du feu, il subsiste toujours un murmure doux et léger.
Et c’est à son écoute que l’on se relève avec humilité, que l’on sort de son
emprisonnement et que l’on se tient à l’entrée d’une vie nouvelle. Ce murmure doux et léger nous dit à chacun : va, reprends ton chemin, et vis et agis. Car avant de mourir… il nous faut tous d’abord vivre !
Danièle STARENKYJ