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Un jour, des amis de Philippe Mélanchthon – amoureux de la paix et du consensus, et compagnon réformateur de Martin Luther – lui demandèrent pourquoi il se montrait aussi dévoué envers Luther. Après tout, n’arrivait-il pas au grand homme de se montrer parfois plutôt obstiné, autoritaire, et désagréable ?
Mélanchthon, étant lui-même l’un des grands érudits de la période de la Réforme, leur répondit simplement et de façon concise : « Parce qu’il m’a fait découvrir l’Évangile. »
C’est grâce à l’influence de Luther et de la Réforme que « l’Évangile » revint au cœur de la foi chrétienne au début de l’ère moderne. Selon l’apôtre Paul, c’est le message par lequel la « puissance de Dieu » agit, apportant « le salut [à] quiconque croit » (Rm 1.16).
Cette définition fournie par l’apôtre présente cinq termes d’une importance particulière.
L’Évangile
Ce mot signifie la « bonne nouvelle », le « joyeux message », le « message de la victoire ». C’est « l’Évangile de Dieu » (Rm 1.1) parce qu’il vient de Dieu et parle de Dieu. Mais c’est aussi « l’Évangile du Christ » (Rm 15.19), c’est-à-dire le message de la mission, du sacrifice, et de la mort expiatoire de Jésus de Nazareth, le divin Messie, pour l’humanité. Cet Évangile parle aussi de sa victoire sur la mort, de son interces- sion auprès de Dieu pour son peuple qui vit et lutte encore en ce monde, et de son retour où enfin, il achèvera son œuvre. Ainsi, l’Évangile nous console, car il nous dit qu’après le present « salut dans un monde perdu », Christ reviendra pour « changer le monde entier ». Ainsi, l’Évangile fournit la solu- tion au problème humain fondamental :
« L’Évangile […] est le seul remède contre le péché(1).
La puissance de Dieu
L’Évangile possède une puissance créatrice parce qu’il est la Parole de Dieu. Les paroles humaines ne sont pas dotées d’une telle puissance. Elles ne sont sou- vent que « tonnerre et tempête ». Mais lorsque Dieu énonce l’Évangile, ce qu’il dit se produit également : tous ceux qui croient reçoivent le salut.
Le salut
Le salut ne résulte pas d’une spéculation philosophique, de théorèmes, ou d’une sagesse glanée dans des livres. Le salut de l’humanité – de la misère de sa culpabilité, et de la fugacité de sa vie – provient non d’un discours humain, mais de l’action divine et de l’acquittement divin. C’est ce que Luther a appelé l’« admirable commercium »(2) – le merveilleux échange, ou l’extraordinaire substitution.
À la croix, « Dieu […] en Christ » (2 Co 5.19) a échangé sa place avec le monde. Il a pris sur lui le jugement réservé aux pécheurs : « Le Juge a été jugé à notre place(3). » Il a pris notre châtiment sur lui et nous donne sa justice (v. 21) ; il s’est fait faible et nous donne sa force (2 Co 12.9) ; il s’est fait pauvre et nous enrichit (2 Co 8.9) ; il a échangé la gloire pour la misère, la joie pour la souffrance, et « s’est dépouillé lui-même » (Ph 2.7) par contraste avec son « tout », afin que nous ayons « tout » quoique « n’ayant rien » (2 Co 6.10)4.
Pour tous
Les merveilles de l’Évangile ne s’appliquent pas seulement à une nation particulière, à un genre ou à un statut social particuliers, mais à tous.
Lors de son expérience sur le chemin de Damas, l’apôtre Paul, qui se vantait à fond de son ascendance juive et de sa propre justice pharisaïque (Ph 3.4-6), devint un ami des nations païennes auxquelles tant de ses frères chrétiens appartenaient. Ils étaient « [sa] joie et [sa] couronne » (Ph 4.1). Pour lui, la souffrance et la mort du Christ pour tous (1 Tm 2.6) avaient effacé les préjugés nationaux, sociaux, et sexistes (Ga 3.26-28). Ainsi, l’Évangile renverse toutes les barrières et crée une communauté supranationale. En Christ, diverses personnes aux origines, à l’éducation, et à l’expérience variées sont fusionnées dans la « familia Dei » – la famille de Dieu : « Le Christ renverse les murs de séparation, les préjugés nationaux qui divisent les peuples, et nous enseigne à aimer la famille humaine tout entière(5). » Par-dessus tout, les êtres humains deviennent tous « enfants de Dieu ». Christ nous unit non seulement sur le plan horizontal, mais aussi et particulièrement sur le plan vertical : par sa mort salvatrice, il rétablit la relation de l’humanité avec Dieu. Mais de quelle façon ?
Par la foi en Christ
Lorsque Paul parle de « croire », il ne se réfère pas à la conjecture ou à l’imagination, ni même à l’acceptation d’une déclaration spécifique. Croire aux Écritures – à cette époque, l’Ancien Testament – signifie « saisir fermement, s’emparer de, être fidèle »(6). Dans le Nouveau Testament, la croyance signifie « faire confiance » et « fidélité ». Nous recevons le salut – le pardon de nos péchés, l’acceptation divine, le renouvellement de la vie, et la rédemption finale – en nous appuyant sur les promesses de salut du Christ, en les saisissant fermement, et en demeurant fidèles jusqu’à la fin. Ce qui sauve les « méchants », ou les « pécheurs », ce ne sont pas leurs accomplissements religieux (« les œuvres »), mais leur confiance en ce Dieu qui, en Christ, les considère comme n’ayant jamais péché (Rm 4.5). La justification du pécheur, c’est-à-dire le fait d’être déclaré juste devant le trône de la grâce, ne se produit que par la foi, sans les œuvres de la loi (Ga 2.16).
Au fil des siècles, l’Église crut qu’elle avait préservé cet Évangile, et qu’elle en était l’interprète fidèle. Beaucoup de ceux qui pensaient comprendre Paul avaient oublié l’essence même de son message. Un type de « justice innocente par les œuvres »7 avait pris possession de la chrétienté et avait subtilement tourné la prédication apostolique de la grâce par la foi en une religion par les œuvres. Sous l’influence du légalisme de la synagogue, des enseignements grecs sur la vertu, et de la pensée juridique romaine, l’acquittement du pécheur par la grâce fut remplacé par un « labeur »8 indispensable dans lequel ceux qui cherchaient le salut se demandaient constamment s’ils en avaient fait assez pour en être dignes. Il y avait bien des voix dissidentes, mais elles n’étaient pas entièrement claires ou furent ignorées.
Puis vint la glorieuse redécouverte du message apostolique par la Réforme du 16e siècle, lorsque la déclaration « le juste vivra par la foi » (Rm 1.17) recommença à briller, et que la chrétienté comprit de nouveau que l’« unique gloire des chrétiens se trouve en Jésus-Christ seul(9) ».
1 Ellen G. White, Le ministère de la guérison, p. 116.
2 Martin Luther, Luthers Schriften: Weimar Edition, Metzler, Stuttgart, 2003, vol. 7, p. 25.
3 Karl Barth, Church Dogmatics, T&T Clark, Édimbourg, 2009, vol. IV.1, p. 211.
4 Horst Pöhlmann, Abriss der Dogmatik, Gütersloher Verlag, Gütersloh, 1975, p. 185.
5 Ellen G. White, Jésus-Christ, p. 824.
6 Rolf Luther, Neutestamentliches Wörterbuch, Furche Verlag, Hambourg, 1963, p. 95.
7 Barth, p. 523.
8 Tertullian De poenitentia 6.
9 Martin Luther, Luthers Schriften: Weimar Edition, Metzler, Stuttgart, 2004, vol. 13, p. 570.